L’agriculture, c’est un plan d’avenir

Daniel OULAÏ, entrepreneur social engagé et fondateur de Grainotech

Dans un contexte où le chômage des jeunes atteint des niveaux préoccupants, de nombreuses voix s’élèvent pour explorer de nouvelles pistes d’avenir. Et si la solution ne se trouvait pas dans les bureaux climatisés ou les concours administratifs, mais… dans la terre elle-même ?

Pour ce 17ᵉ numéro, nous avons le privilège de donner la parole à Daniel OULAÏ, entrepreneur social engagé et fondateur de Grainotech, une entreprise qui milite pour une agriculture durable et accessible aux petits exploitants. À travers son engagement, il incarne une vision nouvelle : celle d’une jeunesse autonome, bâtissant sa réussite sur les richesses du sol africain.

Avec lui, nous abordons sans détour les opportunités, défis et pistes concrètes pour une jeunesse prête à relever le pari de l’agriculture.

Bonjour Monsieur OULAÏ

Qu’est-ce qui vous a personnellement conduit vers l’agriculture et à créer Grainotech ?

Je suis né dans une famille où servir les autres n’était pas une option, mais une mission quotidienne. Mon père était pasteur, et amoureux de la terre. Entre les sermons du dimanche et les champs du samedi matin, j’ai grandi les mains dans la terre et le cœur dans le partage. Très tôt, j’ai compris que nourrir les autres, ce n’était pas qu’un acte agricole c’était un acte spirituel et social.

Quand, plus tard, j’ai vu des enfants dans des villages manquer de nourriture alors que des terres restaient en friche, j’ai eu comme une révélation : l’agriculture pouvait être une réponse à un besoin fondamental, se nourrir, mais aussi une voie d’émancipation et de dignité. J’ai donc décidé de consacrer ma vie à ce secteur. Grainotech est née de cette vocation : structurer une agriculture qui transforme, qui élève, qui libère.

Quelle est la mission principale que vous portez à travers cette entreprise sociale ?

Notre mission chez Grainotech est claire : faire de l’agriculture un moteur de succès collectif. Nous voulons que chaque producteur, même le plus modeste, puisse vivre dignement de son travail. En alliant innovation, formation et structuration des marchés, nous redonnons à la terre sa juste valeur… et à ceux qui la travaillent, leur fierté.

De nombreux jeunes considèrent encore l’agriculture comme un “plan B” ou un secteur de survie. D’où vient cette perception selon vous ?

Cette perception vient de loin. Dans notre imaginaire collectif, celui qui va aux champs, c’est celui qui n’a pas « réussi ». L’école valorise peu les métiers manuels. On forme plus d’ingénieurs que d’ouvriers agricoles, alors que le terrain a besoin de bras compétents. L’agriculture a été reléguée au second plan, parce qu’elle est restée longtemps synonyme de peine, de pauvreté et de précarité. Et cela, il faut le déconstruire.

Quelles sont, à vos yeux, les vraies opportunités que ce secteur peut offrir aujourd’hui aux jeunes ?

Elles sont colossales. L’agriculture d’aujourd’hui, c’est de la mécanique, de la data, du commerce, de la biotechnologie. On manque cruellement de profils qualifiés : Pilotes de drone agricole, des saigneurs d’hévéa, des agents applicateurs phytosanitaires, des conducteurs de machines agricoles, des aménagistes hydro-agricoles… Les jeunes ont toute leur place, s’ils sont bien formés. Et avec les bons outils, un jeune peut bâtir un empire économique tout en créant de l’impact social et écologique.

Y a-t-il des qualités ou compétences clés qu’un jeune devrait développer pour réussir dans ce domaine ?

Oui, et elles ne s’apprennent pas toutes dans les livres. Il faut être patient, car la nature a ses saisons. Curieux, car l’agriculture évolue vite. Résilient, car les échecs font partie du chemin. Il faut aussi être capable de faire une étude de marché, de suivre sa trésorerie, de vendre avant de produire. Et surtout, il faut apprendre à documenter ses pratiques, pour progresser et inspirer.

Quelles erreurs les jeunes commettent-ils souvent en se lançant dans un projet agricole ?

Beaucoup se lancent à l’aveugle, sans accompagnement, avec une vision romantique de l’agriculture. Ils oublient que derrière chaque récolte, il y a une stratégie, un budget, une anticipation des risques. Certains surestiment les revenus rapides et négligent les investissements nécessaires. Or, l’agriculture, c’est de la rigueur, beaucoup d’investissement et une bonne dose d’humilité.

Comment Grainothèque accompagne-t-elle concrètement les jeunes ou les petits producteurs ?

Nous les formons, techniquement et humainement. Nous les aidons à structurer leurs filières, à accéder aux marchés via nos labels collectifs comme “Riz de Danané” ou “Porc de Côte d’Ivoire”. Nous développons des solutions adaptées : des bio-intrants accessibles, des plateformes de vente, de la téléconsultation vétérinaire… Nous bâtissons des ponts là où il y avait des murs.

Voyez-vous aujourd’hui un changement d’état d’esprit chez la jeunesse vis-à-vis de l’agriculture ?

Absolument. Je rencontre de plus en plus de jeunes qui parlent d’agriculture avec passion, qui osent publier fièrement leurs récoltes sur les réseaux sociaux. Ils veulent nourrir, innover, impacter. Cette nouvelle génération d’“agri-preneurs” n’a pas honte de dire : « Je suis cultivateur. » C’est un début de révolution silencieuse, et nous devons l’amplifier.

Quel rôle l’école, les familles ou les institutions devraient-ils jouer pour encourager cette orientation vers l’agriculture ?

L’école doit cesser de présenter l’agriculture comme une punition. Les élèves punis ne doivent pas nettoyer le jardin scolaire mais plutôt faire un exercice de mathématique. Elle doit valoriser le savoir-faire agricole comme un pilier stratégique du développement. Les familles doivent encourager leurs enfants à créer, même dans la boue, plutôt que de rêver d’un bureau climatisé sans mission. Et les institutions doivent mettre en place des incitations concrètes, avec un accompagnement adapté aux réalités rurales.

Quel impact personnel tirez-vous de votre travail quotidien sur le terrain, auprès des jeunes et des producteurs ?

C’est difficile à dire sans émotion. Il y a quelques mois, un jeune éleveur est venu me dire : “Grâce à votre formation, je suis retourné dans mon village, j’ai créé une ferme d’élevage porcine et j’arrive à nourrir ma famille et embaucher deux voisins.” Ce jour-là, j’ai compris que mon engagement portait ses fruits. Chaque sourire, chaque champ reverdi, chaque jeune qui trouve sa voie… c’est une victoire silencieuse mais puissante.

Pour finir, quel message fort aimeriez-vous adresser à un jeune désorienté ou au chômage, qui hésite encore à se tourner vers l’agriculture ?

L’agriculture n’est pas un plan de secours, c’est un plan d’avenir. Ce n’est pas un retour en arrière, c’est un bond en avant. Si tu y viens avec passion, méthode et courage, tu ne seras pas seulement celui qui cherche un emploi. Tu seras celui qui en crée. Tu seras un bâtisseur. L’avenir, il pousse dans la terre. À toi de semer ce que tu veux récolter.

À travers cet échange inspirant, Daniel OULAÏ nous rappelle que l’avenir de l’Afrique peut se cultiver, littéralement, à la force des bras et à la lumière d’une vision durable. Loin des clichés, il réhabilite l’agriculture comme un levier de transformation sociale, économique et spirituelle. Son parcours et son engagement sont une invitation à reconsidérer nos paradigmes et à croire que l’espoir peut germer là où on ose semer.

Et si cette révolution silencieuse de la terre devenait un mouvement collectif ? Et si, ensemble, nous redonnions à nos sols – et à nos jeunes – le pouvoir de faire germer des lendemains meilleurs ?

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