QUAND LE DIGITAL REVOLUTIONNE L’EVENEMENTIEL
Charlène Valmorin : réinventer l’accès aux événements

Dans un monde où le digital révolutionne tous les secteurs, l’industrie événementielle ne fait pas exception. L’achat et la vente de billets, autrefois contraignants, connaissent aujourd’hui une transformation grâce à l’innovation technologique. Pourtant, l’accès aux événements reste un défi pour de nombreuses personnes, et la gestion de la billetterie représente un enjeu majeur pour les organisateurs. Comment repenser l’expérience de la billetterie pour la rendre plus fluide, plus accessible et plus sécurisée ?
En ce mois dédié aux droits de la femme, il est aussi essentiel de souligner le rôle grandissant des femmes dans l’univers entrepreneurial et technologique. Charlène Valmorin, fondatrice de My Place Events, illustre parfaitement cette dynamique en proposant une plateforme innovante qui améliore le processus d’achat et de vente des tickets d’événements.
Nous avons eu l’honneur d’échanger avec elle sur son parcours, sa vision de l’innovation dans l’industrie événementielle et les opportunités entrepreneuriales qu’elle y perçoit.
Bonjour Charlène,
Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a motivée à créer My Place Events ?
Cette motivation s’est construite en plusieurs étapes. L’envie d’entreprendre est d’abord née pendant mes deux années en alternance dans une PME lilloise. Être impliquée dans différents aspects d’un business m’a motivée à créer ma propre entreprise et à jouer un rôle à 360°.
Elle s’est ensuite renforcée en 2016, lorsque j’ai eu le déclic pour entreprendre sur le continent. J’ai eu l’opportunité d’assister à un événement de trois jours réunissant des entrepreneurs africains et des dirigeants internationaux, durant lequel l’Afrique était présentée comme le continent de demain. C’est à ce moment que j’ai su que j’étais prête à franchir le pas. Cette même année, je suis partie au Gabon avec l’intention de démarrer un projet avec un partenaire. En arrivant sur place, j’ai cherché une plateforme référençant les événements de la région et permettant d’acheter ses tickets en ligne, comme j’avais l’habitude de le faire en France. Ne trouvant pas d’équivalent, j’ai vite compris l’ampleur de l’opportunité. Le numérique se développait rapidement et allait inévitablement devenir un usage courant.
En 2016, le taux de pénétration d’Internet en Afrique était d’environ 25 %. En 2022, il atteignait 40 %. La transition est donc clairement en marche.
Au-delà de la digitalisation, le marché du divertissement et de l’événementiel en Afrique subsaharienne représentait plusieurs milliards de dollars, avec une marge de progression énorme pour mieux structurer le secteur.
La billetterie digitale était donc une évidence :
Pour les consommateurs, elle simplifierait l’accès aux événements et à l’information.
Pour les organisateurs, elle permettrait d’optimiser leurs ventes, de sécuriser leurs revenus et de mieux comprendre leur audience.
Tout le monde y gagnerait. J’ai donc lancé My Place Events quelques années plus tard. Je l’ai toutefois fait en Côte d’Ivoire, un marché plus dynamique dans le domaine du divertissement.
Quelles sont les principales limites du système de billetterie traditionnel que vous avez souhaité résoudre avec My Place Events ?

Le système de billetterie traditionnel présente plusieurs limites, auxquelles j’ai voulu répondre avec My Place Events. Nous savons que les données sont l’or noir du digital. Pourtant, pendant longtemps, les organisateurs d’événements n’avaient aucune visibilité sur leurs clients : qui sont-ils ? À quel moment achètent-ils ? Sur quel canal ? Sans ces informations, ils se retrouvaient limités dans leur stratégie de communication et dans leur capacité à anticiper leurs ventes. Certaines start-ups proposent désormais des solutions hybrides, combinant billetterie physique et collecte de données, mais ces approches restent encore peu exploitées.
La billetterie numérique permet un suivi en temps réel, offrant aux organisateurs des données précieuses sur les acheteurs. Ils peuvent ainsi personnaliser leurs campagnes marketing, ajuster leur tarification en fonction des tendances de vente et optimiser leur stratégie de remplissage, notamment en relançant automatiquement les acheteurs n’ayant pas finalisé leur commande. C’est d’ailleurs un service que nous offrons.
Un autre enjeu majeur est la sécurité, tant pour les acheteurs que pour les organisateurs. La fraude aux faux billets engendre des pertes considérables lors des événements. Avec un ticket numérique intégrant un QR code unique, les risques sont réduits : meilleure traçabilité, vérification simplifiée et authentification garantie, à condition que les acheteurs restent vigilants et évitent les circuits non officiels.
Un autre avantage est la praticité. Un acheteur ayant égaré ou déchiré son ticket physique devra en racheter un autre pour accéder à l’événement. À l’inverse, un ticket numérique peut être renvoyé en un clic.
N’oublions pas aussi les consommateurs de la sous-région et de la diaspora. Beaucoup s’intéressent aux événements organisés en Côte d’Ivoire et souhaitent sécuriser leurs tickets avant de voyager. La billetterie en ligne leur permet de le faire facilement, renforçant ainsi le taux de remplissage des événements et leur visibilité à l’international.
Enfin, organiser un événement représente un investissement important, et limiter certaines dépenses peut faire la différence. L’impression de tickets physiques a un coût, d’autant plus lorsque tous ne sont pas vendus.
De plus en plus d’organisateurs font le choix d’une billetterie 100 % digitale ou retardent la production des tickets physiques. Ce qui leur permet d’optimiser leur gestion et de réduire leurs coûts.
Bien sûr, le choix entre une billetterie physique, hybride ou digitale dépend de la cible et du type d’événement.
Mais si elle est bien pensée, la billetterie numérique peut répondre à plusieurs enjeux majeurs :
sécurité, visibilité, rentabilité et expérience client.
Quels défis avez-vous rencontrés en tant que femme entrepreneure dans le domaine de la billetterie et de l’événementiel ?
Le principal défi a été celui de la légitimité, d’autant plus que j’entreprenais dans un pays que je ne connaissais pas et où personne ne me connaissait. Quand tu arrives sur un marché où les acteurs se côtoient depuis longtemps, tu es forcément observé. On cherche à voir si tu es là pour durer, si tu comprends réellement l’écosystème ou si tu es simplement de passage. Il ne suffit pas d’avoir un projet, il faut prouver qu’on a la capacité de l’exécuter efficacement, en prenant en compte les réalités locales. Plusieurs professionnels du secteur m’avaient confié à l’époque qu’ils avaient déjà tenté de lancer une billetterie en ligne, mais que cela n’avait pas fonctionné. Le marché n’était pas encore totalement mûr, et il ne l’est d’ailleurs toujours pas entièrement, malgré des progrès significatifs.
Au début, j’avoue avoir été têtue, en voulant imposer le changement plutôt que de l’accompagner. J’aurais dû intégrer progressivement la solution, au lieu de vouloir imposer d’emblée un modèle 100 % digital, alors que de nombreux acheteurs restaient attachés aux paiements en espèces et aux tickets physiques. Quelques mois après le lancement, nous avons mis en place une solution intermédiaire : la réservation en ligne avec saisie des coordonnées, permettant ensuite un paiement en ligne ou en espèces (récupérés par un livreur) et le choix entre un ticket physique ou numérique.
En 2021, 43 % des ventes étaient encore réalisées en espèces, mais ce « système D » nous a permis de collecter des données utilisateurs. Cette option a été retirée par la suite, les habitudes de consommation ayant évolué depuis la crise sanitaire. Les consommateurs se tournent désormais davantage vers l’achat en ligne.
La croissance de My Place Events :

Et cela sans dépenses significatives en communication ou marketing.
Cette croissance démontre que le besoin est bien réel.
Et cela sans dépenses significatives en communication ou marketing. Cette croissance démontre que le besoin est bien réel. Maintenant à mon niveau, je dois veiller à ce qu’un service de qualité soit toujours assuré et prouver jour après jour que la place que l’on se fait, on ne l’a pas volée.
Comment la technologie peut-elle améliorer l’expérience utilisateur pour les acheteurs et les organisateurs d’événements ?
La technologie doit justement servir à améliorer en continu l’expérience utilisateur. Elle ne peut pas tout faire, mais elle offre de nombreuses possibilités, à condition de l’utiliser de manière réfléchie. Avant d’intégrer de nouvelles fonctionnalités, il est essentiel de comprendre ce dont les utilisateurs ont réellement besoin et de garder en tête que nous ne sommes pas le client. Ce qui nous semble pertinent peut être perçu comme un simple gadget par l’utilisateur. Dans ce cas, cela devient un coût sans réel impact.
C’est pourquoi nous sommes constamment à l’écoute de nos utilisateurs afin de prioriser les améliorations.
Cela passe par :
• Des échanges réguliers avec eux,
• Des questionnaires de satisfaction envoyés après chaque événement,
• Des outils d’analyse de données qui permettent d’étudier le parcours client (taux de rebond, temps passé sur chaque page…) et d’identifier les axes d’amélioration pour fluidifier l’expérience.
Par exemple, notre taux de conversion a augmenté depuis l’intégration d’un chatbot et d’un bouton WhatsApp, permettant d’échanger avec un conseiller. Ce choix répondait à un besoin du public, qui recherchait une interaction plus simple et directe pour réserver ses tickets. Beaucoup d’acheteurs passaient par une plateforme de billetterie en ligne pour la première fois et avaient besoin d’être guidés. Nous n’exploitons pas encore cette technologie, mais l’Intelligence Artificielle pourrait, par exemple, nous aider à analyser plus finement nos données et mieux comprendre les attentes de nos utilisateurs.
Cependant, on ne peut pas modifier l’outil à chaque demande, donc il faut savoir arbitrer. Les acheteurs recherchent avant tout un parcours fluide, sécurisé et des moyens de paiement variés.
Mais les organisateurs, eux, ont des attentes plus diversifiées, notamment en matière de personnalisation. La question du quota de tickets par commande est relativement récurrente, avec des attentes qui varient selon les objectifs de l’événement :
• Pour certains événements premium gratuits, les organisateurs préfèrent limiter à un ticket par commande afin de collecter des données précises sur chaque participant et éviter la monopolisation des places.
• Pour d’autres événements grand public, ils souhaitent autoriser un quota plus élevé, notamment pour les achats groupés (entreprises).
Nous réfléchissons donc à une fonctionnalité permettant aux organisateurs de choisir leur propre quota dans une fourchette définie (ex. 1 à 10 tickets).
En attendant, nous avons fixé un quota de 10 tickets par commande. Cette approche limite les abus tout en facilitant les achats groupés.
En revanche, si l’organisateur souhaite générer lui-même un grand nombre de tickets, il a la possibilité de le faire directement via son compte organisateur.
Billetterie digitale, un levier d’opportunités
Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs qui souhaitent innover dans l’industrie événementielle ?

Il faut être pragmatique. Sur nos marchés, l’innovation ne passe pas nécessairement que par l’intégration de technologies avancées, d’autant que certaines solutions plus courantes ne sont pas encore pleinement adoptées. L’innovation peut aussi résider dans la qualité du service rendu.
Avec la concurrence actuelle, une plateforme de billetterie ne peut plus se contenter de vendre des tickets. Les attentes des organisateurs ont évolué : ils considèrent désormais leur partenaire billetterie comme un acteur stratégique, voire un conseiller sur l’ensemble de son événement. Grâce à l’expérience acquise sur divers types d’événements et à une bonne compréhension des comportements d’achat, l’expertise des plateformes de billetterie est aujourd’hui perçue comme précieuse par les organisateurs. C’est en jouant un rôle proactif à plusieurs niveaux – communication, tarification, enrichissement de l’expérience lors de l’événement – que l’on peut fidéliser les organisateurs et créer de la valeur.
C’est là tout l’enjeu : proposer des offres attractives et adaptées aux nouvelles attentes. Toutefois, il est aussi possible de se démarquer en améliorant ces trois aspects clés :
• La fluidité du parcours d’achat
• L’analyse fine des données
• La personnalisation avancée des fonctionnalités
Pensez-vous que la digitalisation de la billetterie ouvre de nouvelles perspectives économiques, notamment pour les jeunes entrepreneurs et les femmes ?
Oui, clairement.
La digitalisation de la billetterie ne se limite pas seulement à la vente de tickets. Elle crée tout un écosystème d’opportunités pour les jeunes entrepreneurs et les femmes souhaitant évoluer dans le digital.
Au-delà de la réduction des barrières à l’entrée, là où des infrastructures physiques, un réseau de distribution et des ressources importantes étaient autrefois nécessaires, les outils numériques permettent aujourd’hui de développer une diversité de solutions complémentaires.
Ces solutions répondent à des besoins concrets des acteurs de la billetterie et de l’événementiel. Parmi elles, on retrouve notamment :
• Le marketing digital avec la création de campagnes créatives
• Le live streaming pour la diffusion d’événements en ligne
• L’analyse de données pour mieux comprendre les comportements des acheteurs et optimiser les ventes
• Les solutions de paiement adaptées
• Les outils de fidélisation, comme des programmes de récompenses liés aux achats La digitalisation ouvre de nombreuses perspectives. Maintenant, c’est à chaque entrepreneur de se positionner intelligemment pour en tirer parti.
Selon vous, quels sont les défis spécifiques auxquels les femmes entrepreneures font face aujourd’hui, et comment peuvent-elles les surmonter ?
Les défis sont à la fois externes et internes. Pour avancer, il faut savoir jouer sur les deux tableaux.
L’un des obstacles majeurs reste le financement.
Moins de 3 % des fonds levés par des startups africaines sont destinés à des entreprises dirigées par des femmes. L’accès aux capitaux est un véritable défi, même si de plus en plus de programmes de financement émergent pour soutenir nos projets. Mais au-delà des freins externes, il y a aussi des barrières internes sur lesquelles nous devons travailler. On dit que la confiance en soi est la clé. Il ne faut pas avoir peur de prendre sa place, s’affirmer dans un secteur compétitif et aller chercher chaque opportunité pertinente, car personne ne le fera pour nous.
Nous nous mettons parfois énormément de pression, en oubliant que nous sommes tout aussi compétentes. Ce doute permanent peut nous faire hésiter à prendre des risques ou à saisir des opportunités.
Certaines communautés jouent un rôle essentiel en nous soutenant et en nous encourageant à oser (Ex : Les Abidjanaises in Tech).
Nous sommes aussi tellement habituées à « multitâcher », qu’il est parfois difficile de trouver un équilibre entre notre activité et notre vie personnelle. D’où l’importance d’être bien entourée, que ce soit à la maison ou au travail, pour alléger notre charge mentale et gagner en efficacité.
Cela implique aussi d’apprendre à lâcher prise et à déléguer, ce qui n’est pas toujours évident, mais est nécessaire.
Quel message aimeriez-vous adresser aux femmes qui souhaitent se lancer dans l’innovation et l’entrepreneuriat ?
Nous avons besoin d’elles, de leur ambition et de les voir rêver grand.
Nous sommes encore trop peu à lancer des projets d’envergure ou à bénéficier de visibilité.
J’ai moi-même longtemps préféré la discrétion, attendant d’atteindre certains objectifs avant de mettre en avant mon entreprise. Je voulais notamment avoir une plateforme qui me satisfasse à 90 % avant de réellement communiquer. J’ai donc accompli beaucoup de choses en catimini. Mais j’ai fini par comprendre qu’il faut bien commencer quelque part et que le parcours est tout aussi important que l’arrivée. Sinon, il y aura toujours une bonne excuse pour ne pas se lancer. Je leur dirais aussi de ne pas être intimidées, ni hésiter à lancer un projet, même face à des acteurs disposant de plus de ressources financières et/ou humaines. Chacune a ses propres forces, sa vision, son approche unique du marché, et c’est cette différence qui peut devenir leur plus grand avantage.
Enfin, ce n’est pas un mensonge lorsque l’on dit que l’entrepreneuriat est un marathon et pas un sprint. Il ne faudrait donc pas que leur foi en leur projet s’effondre aux premières épreuves qu’elles rencontreront.
Chaque pas compte.
Quelles sont les prochaines étapes pour My Place Events ?
Les prochaines étapes de My Place Events s’articulent autour de trois axes majeurs : croissance, expansion et amélioration continue.
Nous allons d’abord renforcer notre présence en Côte d’Ivoire en optimisant l’expérience utilisateur et en développant davantage de partenariats avec des entreprises et des organisateurs d’événements.
Nous travaillons également sur de nouvelles fonctionnalités et services pour accompagner les organisateurs au-delà de la simple billetterie, comme mentionné précédemment. L’objectif est d’apporter toujours plus de valeur, tant aux organisateurs qu’aux acheteurs.
My Place Events ne sera plus seulement une billetterie événementielle, mais une véritable plateforme d’expériences événementielles.
Un autre axe majeur concerne l’expansion régionale. Nous avons déjà identifié plusieurs marchés en Afrique où le besoin d’une billetterie digitale performante est réel, avec de nombreuses demandes à la clé.
Parallèlement, l’accent sera mis sur le renforcement de notre communication et de notre pédagogie, avec du contenu développé sur de nouveaux supports pour mieux sensibiliser nos utilisateurs.
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous partagerons progressivement nos avancées.
