ENTREPRENDRE, INNOVER ET MARQUER L’ECOSYSTEME MEDIATIQUE
Israël Guébo : « le numérique est un peu le fil rouge de tous mes projets dans les médias »
Monsieur Israël Guébo, c’est un honneur de vous recevoir aujourd’hui pour discuter de l’entrepreneuriat dans les médias, de l’innovation, et des stratégies pour s’imposer comme une figure incontournable dans l’écosystème médiatique. Votre parcours en tant que consultant en communication, médias et numérique, ainsi que votre engagement à travers le Think Tank Côte d’Ivoire Ensemble et ADCI, font de vous une référence dans ces domaines. Dans cette interview, nous souhaitons explorer vos perspectives sur ces sujets et inspirer les jeunes générations à suivre vos traces.
Pour commencer, pouvez-vous partager avec nous votre parcours et ce qui vous a poussé à vous engager dans le secteur des médias et de la communication numérique ?
Le journalisme a toujours été pour moi un rêve d’enfant. Lorsqu’en classe de 3e, au Collège Municipal de Tiémé, on me demandait ma profession d’avenir, je disais « Journaliste » sans hésiter. Et donc cette passion m’a habité et m’a accompagné même lorsque j’ai été orienté en faculté de droit après mon baccalauréat en 2001. Pendant que je suivais les cours, j’écrivais des articles que j’envoyais à des journaux de la place. Certains les publiaient, d’autres les ignoraient. Je me souviens qu’un de mes articles avait été publié dans un journal qui s’appelait La Tribune d’Abidjan. Le titre était : « Attention aux PME : Petites et moyennes églises ».
Et donc ce rêve, je l’ai suivi jusqu’à ce que je le touche en 2006. J’étais en maîtrise de science politique. J’ai postulé pour être stagiaire dans un quotidien qui s’appelait Le Courrier d’Abidjan et dont la rédaction était dirigée par Théophile Kouamouo. C’est ce journaliste de renom qui m’a donné ma chance d’apprendre. Il a été plus qu’un formateur : ça a été un mentor. Et puis, au fil du temps, j’ai fait mes armes au service politique en couvrant de grandes actualités chaudes : l’attaque meurtrière du poste de frontière de Noé, les manifestations de l’opposition à Agnibilékrou, les meetings politiques, etc. J’avais 24 ans et quelques mois d’expérience, mais j’étais passionné. J’apprenais vite.
Ensuite, j’ai trouvé en internet une opportunité, et je l’ai saisie. J’ai créé mon blog en 2007. Ça a été un succès. J’ai aussitôt commencé à partager le peu de savoir que j’avais via des formations gratuites. Il y a eu beaucoup de projets dans ce sens, dont le plus emblématique reste Avenue 225 avec un peu plus de 700 jeunes formés.
Ensuite, je suis allé à l’École Supérieure de Journalisme de Lille en 2009, d’où je suis sorti en 2011 avec un master en journalisme. Je suis rentré immédiatement en Côte d’Ivoire pour faire de la formation, développer des projets…
Et depuis, j’oscille entre médias et communication, mais le numérique est un peu le fil rouge de tout cela.
Vous êtes consultant en communication et co-fondateur du Think Tank Côte d’Ivoire Ensemble. Quelle vision guide vos initiatives dans ces domaines ?
De façon générale, je suis un Ivoiro-Optimiste. Et l’une de mes convictions est que chacun, à sa place et dans son domaine, doit apporter sa part et sa pierre à la construction d’une Côte d’Ivoire meilleure. C’est vraiment la ligne directrice qui guide mes actions. C’est un peu idéaliste, mais j’y crois foncièrement.
Qu’on soit dans la communication, les médias, sur internet ou avec les organisations que je fonde et/ou que je dirige, je travaille à mobiliser une génération de jeunes, une génération guidée par des valeurs telles que l’intégrité, le travail ardu, la discipline et la solidarité.
Les défis des entrepreneurs médiatiques africains
Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels font face les entrepreneurs dans les médias aujourd’hui, particulièrement en Afrique ?
Les entrepreneurs dans les médias, surtout en Afrique, affrontent une multitude de défis, mais si je devais en retenir trois, je dirais : le financement, l’accès aux technologies adaptées et la lutte pour capter et maintenir l’attention du public.
D’abord, le financement. Ça, c’est vraiment le nerf de la guerre. Quand on commence un projet média ici, on est très souvent confronté à des budgets limités. Les investisseurs hésitent, parce que pour eux, les médias, c’est risqué ou pas assez rentable. Moi, je me souviens quand j’ai lancé mon blog en 2007, c’était plus par passion que par moyens. J’ai dû improviser avec le peu que j’avais. Les entrepreneurs d’aujourd’hui se battent toujours contre ce mur. Et le plus frustrant, c’est de voir qu’un bon projet peut échouer juste parce que la trésorerie manque.
Ensuite, l’accès aux technologies. En Afrique, on a souvent un train de retard sur les nouvelles tendances numériques, et c’est problématique. Les plateformes changent constamment. Quand j’ai commencé à bloguer, c’était beaucoup plus simple, mais aujourd’hui, il faut des stratégies ultra pointues sur les réseaux sociaux, des outils de data journalisme, et j’en passe. Tout cela coûte cher, et souvent, on n’a ni les outils ni la formation adéquate pour rester compétitifs.
Enfin, il y a la bataille pour capter l’attention du public. Dans un monde saturé de contenus, les médias africains doivent redoubler d’ingéniosité pour ne pas se faire noyer dans le flot d’informations venant de partout. Quand j’ai monté Avenue 225, le défi était d’attirer des jeunes tout en restant pertinent. Et ce défi n’a pas disparu. Les entrepreneurs aujourd’hui doivent non seulement se démarquer, mais aussi répondre à des attentes très locales tout en gardant un œil sur ce qui marche à l’international. Alors, oui, le chemin est difficile, mais c’est aussi un terrain de créativité et de résilience. Et moi, je crois fermement que chaque défi, pour qui sait s’y attaquer avec audace, peut devenir une opportunité.
Comment les médias peuvent-ils contribuer à transformer les sociétés africaines sur le plan social, économique
Les médias, à mes yeux, sont des catalyseurs puissants. Ils ont ce don incroyable de façonner les opinions, d’orienter les débats, et surtout, de créer des ponts là où il y a des fossés. Quand on parle de transformation sociale, économique et culturelle en Afrique, les médias ne sont pas juste des spectateurs. Ils sont des acteurs centraux.
Sur le plan social, les médias peuvent éveiller les consciences. Moi, je me souviens de mes débuts dans le journalisme. À l’époque, il suffisait parfois d’un reportage bien ficelé sur une injustice pour faire bouger les lignes. Les médias ont cette capacité de donner une voix aux sans voix, de mettre en lumière des problématiques ignorées. Prenez un sujet comme l’éducation inclusive ou les violences faites aux femmes. Avec une bonne campagne médiatique, vous pouvez non seulement sensibiliser, mais aussi pousser à l’action.
Économiquement, les médias jouent un rôle clé dans la valorisation des initiatives locales. Par exemple, un entrepreneur en zone rurale qui fait des merveilles, mais que personne ne connaît. Les médias peuvent lui donner une visibilité incroyable, attirer des investisseurs, et même inspirer d’autres à suivre son exemple. C’est ce que j’ai toujours aimé faire avec Avenue 225 : mettre en avant des histoires de jeunes qui bougent, qui innovent. Ça motive, ça crée des opportunités, et ça booste l’économie.
Et sur le plan culturel ?
Là, c’est magique. Les médias sont les gardiens de nos identités, mais aussi des passerelles vers le monde. En Afrique, nos cultures sont riches, mais parfois mal comprises ou sous-estimées. Les médias peuvent changer cela en racontant nos histoires de manière authentique et captivante. Je pense aux séries, aux documentaires, ou même aux simples articles qui célèbrent nos traditions tout en les adaptant à la modernité. C’est comme redonner une fierté à nos peuples, tout en montrant au monde que nos cultures ont leur place dans l’universel.
En somme, les médias ont un pouvoir immense. Mais ce pouvoir vient avec une responsabilité : celle d’informer, d’éduquer, et d’inspirer. Et moi, je crois profondément qu’en Afrique, si on utilise bien cet outil, on peut transformer nos sociétés à une vitesse et avec un impact qu’on n’imagine même pas encore.
En tant qu’entrepreneur médiatique, quelles stratégies recommandez-vous pour bâtir une plateforme d’influence solide et durable ?
Quand on parle de bâtir une plateforme d’influence solide et durable, il faut, à mon avis, commencer par une chose essentielle : une vision claire. Ça peut sembler évident, mais croyez-moi, beaucoup se lancent dans les médias sans savoir où ils veulent aller. J’ai appris, à travers mes expériences avec des projets qu’avoir une boussole – une identité forte et un message cohérent – est ce qui permet de tenir sur le long terme. Pourquoi êtes-vous là ? Que voulez-vous changer, raconter, ou provoquer dans votre audience ? C’est la base.
Ensuite, il faut miser sur la qualité des contenus. Vous pouvez avoir les meilleures intentions du monde, si vos contenus ne captent pas l’attention ou n’apportent pas de valeur, vous serez noyé dans la masse. Moi, je suis partisan d’un contenu à la fois authentique et stratégique. Il faut savoir raconter des histoires qui touchent, qui résonnent, mais aussi qui répondent à des attentes précises. Sur une plateforme, chaque post, chaque article, chaque vidéo doit avoir un objectif clair : informer, inspirer ou engager.
La communauté, c’est l’autre pilier clé. J’ai toujours pensé qu’un média ne vit que grâce à ceux qui l’écoutent, le suivent ou y participent. Construire une communauté, c’est dialoguer, interagir, et surtout, faire sentir à vos lecteurs, auditeurs ou spectateurs qu’ils font partie d’un projet plus grand qu’eux. Ce lien-là, il ne se construit pas en un jour, mais il se consolide dans le temps, avec de la constance et beaucoup d’humilité.
Enfin, il y a un aspect que je considère crucial : l’innovation. Le paysage médiatique évolue tellement vite, surtout en Afrique, où la jeunesse est ultra-connectée et où les formats traditionnels sont parfois remis en question. Il faut oser tester, explorer de nouveaux formats, intégrer des outils numériques. Personnellement, le numérique a été mon cheval de bataille. J’ai vu à quel point une plateforme bien pensée, adaptée aux besoins de son audience, peut non seulement accroître son influence, mais aussi sa durabilité économique. Et puis, il ne faut jamais négliger la monétisation. Une plateforme durable, c’est une plateforme qui sait transformer son influence en valeur économique, sans trahir ses principes. Sponsoring, abonnements, publicité… Tout est une question d’équilibre.
Médias et transformation sociétale : une mission au cœur de l’Afrique
Les avancées technologiques redéfinissent constamment les médias. Comment les entrepreneurs peuvent-ils utiliser l’innovation numérique pour se démarquer ?
L’innovation numérique, c’est un véritable terrain de jeu pour les entrepreneurs dans les médias, surtout en Afrique où les opportunités sont énormes. Mais avant de parler outils ou gadgets, je crois qu’il faut d’abord comprendre une chose : l’innovation numérique n’est pas une fin en soi, c’est un moyen. Un moyen de raconter des histoires autrement, de toucher des publics qu’on n’aurait jamais atteints autrement et, surtout, de créer un impact durable.
La première chose à faire, selon moi, c’est écouter son audience. Les données aujourd’hui sont une mine d’or. Vous pouvez savoir ce qui intéresse votre public, comment il consomme vos contenus, à quel moment, sur quel type d’appareil… et tout ça en temps réel. Avec ces informations, vous pouvez non seulement personnaliser vos offres, mais aussi anticiper les tendances. Par exemple, si je vois que mon audience consomme beaucoup de vidéos courtes sur mobile, je sais qu’il est temps d’investir dans des formats comme les réels ou les shorts vidéos.
Ensuite, il y a l’aspect interaction. Les réseaux sociaux, les podcasts interactifs, les lives et spaces…Ces outils permettent de créer une relation directe avec votre public. Aujourd’hui, avec des outils comme WhatsApp Business ou même des chatbots on a des interactions encore plus immédiates et engageantes.
Un autre levier clé, c’est l’accessibilité des contenus. Avec le numérique, il est possible de toucher des publics en zone rurale ou des jeunes qui n’ont pas forcément accès aux médias traditionnels. Pensez à des plateformes qui consomment peu de données, des formats audio adaptés aux régions où l’alphabétisation reste un défi, ou encore à des contenus en langues locales. L’innovation, ici, ce n’est pas forcément de la haute technologie, c’est aussi de la simplicité bien pensée. Enfin, il ne faut pas oublier les revenus. L’un des grands avantages du numérique, c’est qu’il offre des modèles économiques diversifiés. Que ce soit via le financement participatif, les abonnements premium, la publicité ciblée ou même la vente de formations en ligne (ce que j’ai moi-même expérimenté), les entrepreneurs ont des options infinies pour monétiser leur contenu tout en restant proches de leur audience.
L’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans les médias. Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs pour intégrer ces technologies dans leurs stratégies sans perdre leur authenticité ?
L’intelligence artificielle (IA) est une formidable alliée, mais elle peut aussi être intimidante, surtout pour les entrepreneurs qui se demandent comment l’utiliser sans trahir leur essence. Mon conseil principal serait de ne pas voir l’IA comme un remplacement, mais comme un amplificateur de votre vision, de votre créativité et de vos valeurs. En d’autres termes, laissez l’IA faire ce qu’elle fait le mieux, pour que vous puissiez continuer à faire ce que vous faites de mieux : créer du lien et raconter des histoires authentiques.
D’abord, commencez par des outils qui répondent à des besoins concrets et immédiats. Vous voulez améliorer votre productivité ? Des IA comme ChatGPT peuvent vous aider à rédiger des ébauches d’articles ou des scripts. Vous voulez mieux comprendre votre audience ? Les outils d’analyse basés sur l’IA peuvent décrypter les comportements des utilisateurs et anticiper leurs attentes. Mais attention : ces outils ne doivent pas remplacer votre jugement ou votre sensibilité. Prenez leurs suggestions comme des points de départ, pas comme des conclusions définitives.
Ensuite, il y a la personnalisation. L’IA peut vous permettre de proposer des contenus ultra-adaptés à chaque segment de votre audience. Pensez à Netflix et ses recommandations : c’est exactement ce que vous pouvez faire avec votre propre contenu. Mais pour rester authentique, veillez à ce que votre message ne soit jamais dilué. Par exemple, si vous êtes un média engagé ou à forte identité, gardez cette touche personnelle dans le ton et les valeurs véhiculées.
Un autre point important : restez transparent. Votre audience doit savoir quand et comment vous utilisez l’IA. Imaginez que vous publiez un article ou un contenu généré en partie par une machine : pourquoi ne pas le mentionner ? Cela renforce la confiance et montre que vous êtes dans une démarche d’innovation responsable. Enfin, l’IA peut aussi vous libérer du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. Laissez-la gérer des tâches répétitives ou techniques, comme le montage vidéo automatisé, la transcription d’interviews ou la gestion des calendriers de publication. Vous pourrez ainsi vous concentrer sur la création, la stratégie et l’interaction humaine, des aspects que les machines ne remplaceront jamais.
Israël Guébo incarne l’audace et la résilience qui définissent les entrepreneurs médiatiques africains. À travers son parcours, il a démontré qu’une vision claire, un engagement sans faille et une capacité à innover sont les piliers pour bâtir un héritage durable dans l’écosystème médiatique. Son message résonne comme une invitation à la jeunesse africaine : oser entreprendre, transformer les défis en opportunités et, surtout, contribuer activement à l’évolution des sociétés grâce aux médias. En tant que figure d’inspiration et acteur de changement, il continue de prouver que le mariage entre passion et stratégie peut ouvrir des horizons infinis.