CHARLENE DANON : UN JEUNE QUI LIT ET ECRIT BIEN SAIT DIRE QUI IL EST
Journaliste, scénariste-productrice et écrivaine, Charlène DANON est une figure marquante du paysage médiatique et littéraire ivoirien. À travers son livre Il y a un dieu pour les cons, elle propose une plume audacieuse et percutante qui questionne la société avec une finesse rare. Son engagement pour la jeunesse et son regard critique sur le monde en font une voix incontournable.
Dans cette interview exclusive, nous explorons avec elle le rôle de la littérature dans l’inspiration et l’émancipation des jeunes. Comment l’écriture peut-elle aider la jeunesse à s’élever, à croire en elle et à se forger un avenir meilleur ? Quelles sont les opportunités offertes par le monde du livre et du storytelling ? Charlène Danon nous livre ses réflexions et ses conseils.
Vous êtes journaliste, scénariste-productrice et écrivaine. Comment ces différentes facettes de votre carrière se complètent-elles ?
Pour moi, ces différentes facettes s’illustrent d’une seule manière : le besoin de partager une expérience, un point de vue, de raconter une histoire — mon histoire et ma part de vérité. Peu importe l’étiquette sous laquelle je m’exprime, c’est toujours une occasion de m’ouvrir au monde extérieur. Ce qui est intéressant, lorsqu’il s’agit d’un projet d’écriture ou de production, c’est que la casquette de journaliste m’impose une rigueur dans la recherche et le traitement des données, celle de l’écrivaine me donne toute la liberté pour créer un univers, tandis que la scénariste s’occupe de structurer l’histoire et de dynamiser l’enchaînement. Le producteur, enfin, prend le relais pour organiser, rendre le projet viable et assurer sa réalisation comme sa promotion. Ce parcours me donne un avantage certain : maîtriser toute la chaîne de création.
Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire Il y a un dieu pour les cons et quel message souhaitiez-vous transmettre à travers cet ouvrage ?

Ce qui a motivé ce projet littéraire, c’est l’envie de partager un point de vue sans filtre, de dépeindre un environnement, des dynamiques sociales et humaines que je connais. Il y a un dieu pour les cons, c’est un cri intérieur, une satire assumée, un miroir tendu à notre société pour provoquer le choc, la réflexion, le malaise, le rire — et parfois tout ça à la fois.
Selon vous, pourquoi la littérature est-elle un outil puissant pour inspirer et autonomiser la jeunesse ?
La littérature est un outil puissant pour toute chose qui demande de s’instruire, de s’enrichir intellectuellement, psychologiquement et spirituellement.
C’est une arme douce mais redoutable. En particulier pour la jeunesse, elle permet de développer un esprit critique, de remettre en question ce qui semble évident, de déconstruire les idées reçues. Elle forge une personnalité libre, affranchie, difficilement manipulable.
Comment la lecture et l’écriture peuvent-elles aider les jeunes à prendre confiance en eux et à construire leur propre destinée ?
Lire et écrire, c’est déjà se donner la capacité de se raconter, de se positionner, d’exister pleinement dans la société. Un jeune qui lit beaucoup et écrit bien peut s’adapter à tous les milieux, il peut défendre ses idées, il peut convaincre, influencer. Il peut changer son environnement, parce qu’il sait se raconter. Il sait dire qui il est.
Pensez-vous que les jeunes Ivoiriens s’intéressent suffisamment à la littérature ? Comment leur donner davantage le goût de la lecture et de l’écriture ?
Pour s’intéresser à la littérature, il faut d’abord être curieux. Il faut avoir faim. Faim de savoir, de sens, de grandeur. Il faut avoir un esprit d’aventurier. Est-ce que les Ivoiriens sont curieux ? Est-ce qu’ils cherchent autre chose que ce qui leur pend au nez ? Je ne saurais le dire… Mais même s’il n’y a qu’un seul Ivoirien qui lit, c’est une bonne raison pour moi de continuer à écrire.
LES REALITES ET LES DEFIS DU METIER
Quels sont, selon vous, les défis majeurs auxquels les écrivains africains sont confrontés aujourd’hui ?
Je ne vais pas parler pour tous les Africains, mais on a des problèmes communs. Le premier, c’est notre rapport à l’oralité : on vient de sociétés où la parole est reine, où la transmission se fait par la voix. La lecture est venue avec l’école, donc avec la colonisation. Et comme l’école a souvent été contrainte, la lecture est perçue comme une obligation. Lire pour le plaisir, ça reste rare.
Deuxième défi : les maisons d’édition. Elles manquent souvent de moyens, de vision, d’outils. La qualité de l’impression, l’absence de politiques de promotion dignes de ce nom, la faiblesse des plateformes de diffusion : on a vite fait le tour. Et comme imprimer coûte cher, les marges pour l’écrivain sont souvent ridicules.
Troisième point : les librairies. Certaines prennent 35 à 40 % sur le dépôt-vente sans même proposer un vrai accompagnement. C’est presque du vol. Les écrivains africains, ivoiriens en particulier, le font par passion. Mais la passion seule ne construit pas un écosystème performant. Un écrivain, c’est une carrière. Le lecteur grandit avec lui. Et pour cela, il faut un vrai marché, des soutiens, des outils. Il faut un système qui croit en lui.çç
Comment un jeune écrivain peut-il se faire publier et trouver son public dans un environnement où la lecture semble parfois négligée ?
Par la qualité de son travail, d’abord. Ensuite, par l’originalité de son sujet et sa capacité à sortir des sentiers battus. Les lecteurs sont là, partout. Il faut juste aller les chercher. Il faut avoir une vraie stratégie, il faut créer autour de son livre, comme on crée autour d’un produit. L’écrivain d’aujourd’hui ne peut plus être passif. Il doit savoir vendre, innover, utiliser les outils numériques, inventer de nouveaux canaux. Sinon, on se noie dans l’océan des écrivains anonymes.
Dans quelle mesure la littérature peut-elle être un moteur de changement social, notamment en Afrique ?
La littérature peut être un moteur de changement parce qu’elle touche à l’intime. Elle ne crie pas toujours fort, mais elle dit ce qu’on tait. Elle propose des alternatives à la pensée dominante, elle fait naître des révoltes intérieures. Elle dérange, elle éclaire, elle réveille. Dans nos contextes africains, où beaucoup de réalités sont tues ou manipulées, un roman peut faire plus qu’un long discours. La littérature ne fait pas la révolution dans la rue, mais elle sème les graines de cette révolution dans les esprits. C’est ça sa force. Elle prépare les terrains fertiles.
Quels sont les thèmes que vous aimeriez voir davantage explorés par les écrivains africains pour éveiller la conscience des jeunes ?
N’importe quel thème peut éveiller une conscience. Ce n’est pas tant le sujet qui compte, c’est la manière dont on le traite. Une histoire d’amour dans un contexte socio-politique peut faire plus de dégâts qu’un essai pompeux. Un drame familial peut dire beaucoup sur une société. L’essentiel, c’est d’écrire avec honnêteté, sensibilité, profondeur. Les sujets qui nous touchent sont les plus puissants à transmettre.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui rêvent d’écrire, mais qui hésitent par peur du jugement ou du manque de moyens ?
Notre histoire nous appartient. Personne ne peut juger la manière dont on choisit de la raconter. Il faut se sentir libre. Libre de dire, libre d’écrire, libre de se planter aussi. Le style, la finesse, la profondeur : tout ça vient avec l’expérience. Ce qui compte, c’est de commencer. Écrire, c’est exister.
Avez-vous des projets littéraires ou audiovisuels en cours qui s’inscrivent dans cette dynamique d’éveil et d’autonomisation des jeunes ?
Oui, je travaille sur mon troisième roman, et je développe une série adaptée de mon tout premier roman. On reste dans cette volonté d’éveiller, de raconter des parcours, des histoires, de tendre un miroir à cette jeunesse qui ne demande qu’à se voir autrement.
Un dernier mot pour encourager la jeunesse à croire en son potentiel à travers la lecture, l’écriture et la narration d’histoires ?
Il faut une bonne dose de curiosité. Le reste vient avec le feu.
À travers ses mots, Charlène Danon ne se contente pas d’inspirer : elle nous convoque à l’action. Sa vision est claire — l’écriture est un acte de courage, un outil d’émancipation, un cri de vérité dans un monde saturé de bruit. À celles et ceux qui doutent encore de leur potentiel, elle oppose une foi simple mais puissante : celle du feu intérieur, de la curiosité, et du droit inaliénable de raconter son histoire.
